Les entreprises face au contexte sanitaire : quels nouveaux défis pour les dirigeant.e.s ?

Esxperts – 16 Novembre 2020

Télétravail, règles de distanciation sociale, confinement… Pour la seconde fois cette année, dirigeants, managers et collaborateurs redessinent les contours de leurs missions pour s’adapter aux nouvelles mesures sanitaires en vigueur. En tant que dirigeant.e d’entreprise, comment accompagner les équipes dans cette transformation et bâtir collectivement de nouveaux modèles ? Véronique Soussan, Fondatrice et Directrice Générale de l’agence Les Nouveaux Héritiers, nous livre son point de vue.

Face au contexte d’urgence sanitaire que nous traversons, quels enjeux émergent au sein des entreprises, et plus spécifiquement au sein de l’agence Les Nouveaux Héritiers ?

Pour la grande majorité des entreprises françaises, le contexte actuel est synonyme de nouveaux challenges. Déployer sa capacité à se projeter, procéder à des ajustements réguliers, tester de nouvelles choses avec la plus grande réactivité et spontanéité possibles sont autant d’actions primordiales pour s’adapter à un contexte où la visibilité est considérablement réduite. De même, l’instauration du travail à distance implique un changement d’approche rapide de la part des entreprises vis-à-vis de leurs méthodes de travail. Être présent dans l’instant pour agir de façon pertinente est essentiel. Pour certains dirigeants et entreprises, c’est aussi une période propice aux grandes remises en question, suivant l’activité exercée : faut-il aujourd’hui tout faire pour maintenir l’équilibre ? Faut-il s’aventurer ailleurs, vers un autre secteur ?

Chez Les Nouveaux Héritiers, nous avons d’emblée été confrontés à un enjeu majeur, directement lié à notre secteur d’activité : le recrutement fait partie intégrante de notre cœur de métier. Or, il s’agit d’un secteur particulièrement réactif aux périodes de crise, quelles qu’elles soient.
Aujourd’hui, notre réflexe premier est d’interagir au maximum avec nos clients afin de les accompagner au mieux : comment vivent-ils cette période de crise ? Leur activité est-elle directement impactée ? Comment font-ils face ? Comment se projettent-ils ? Cela nous permet d’avoir davantage de visibilité sur notre volume d’activité, pour le répartir de manière optimale entre les équipes d’une part, et évaluer comment cela nous affecte d’un point de vue business d’autre part. L’activité partielle est envisagée quand cela est nécessaire, et nous profitons de cette période pour réaffirmer plus que jamais notre engagement auprès des clients.
Concernant le télétravail, nous étions d’ores et déjà prêts d’un point de vue pratique : nous travaillons à la mise en place du télétravail partiel depuis un an et expérimentons le flex office depuis trois ans. En revanche, le fait de se retrouver satellisés est un exercice complètement nouveau. Cela nécessite donc de gérer les équipes à distance, isolées les unes des autres. Personnellement, cela ne m’était encore jamais arrivé en 31 ans de carrière, et nous ne savions pas le faire… mais nous apprenons vite ! 

 

De fait, de nouveaux besoins s’expriment au sein des équipes. Quels sont ceux que vous observez ?

 

En premier lieu, la nécessité d’apprendre à travailler à distance. Reproduire ce que l’on fait en présentiel ne suffit pas : il faut littéralement réapprendre à travailler en inventant de nouvelles méthodologies. En tant que collaborateur, cela implique notamment de trouver sa propre organisation. Pour les managers et les dirigeants, il s’agit d’impulser une nouvelle dynamique au sein des équipes. Il faut prendre du recul, réfléchir à ce qui fait vraiment sens pour chacun, à l’échelle de l’individu mais aussi collectivement, pour l’entreprise.
De la même manière, le management à distance diffère en tous points du management présentiel et requière une approche complètement différente. L’un des écueils fréquents est de s’engager dans une logique de contrôle absolu. Il me semble que ce n’est clairement pas le bon réflexe à adopter. À l’inverse, prendre appui sur le potentiel d’autonomie et le professionnalisme des collaborateurs peut permettre d’instaurer un véritable climat de confiance, tout en mobilisant les équipes.

Enfin, prêter une grande attention à la manière dont chacun traverse cette période est indispensable afin d’anticiper un potentiel désengagement, une forme de démotivation, voire de mal-être au sein de son équipe. Le risque est accru du fait que la dynamique de groupe est partiellement rompue.
Pour cela, l’un des points de vigilance à observer est la notion d’isolement. Chaque situation est différente : certains en souffrent profondément, auquel cas il est primordial d’agir vite en les accompagnant, pour que la situation soit la moins pénible possible. D’autres l’appréhendent plus sereinement, y trouvent un sentiment de réconfort, une sécurité. Cela est intrinsèquement lié au contexte dans lequel chacun traverse cette période : seul.e, en famille… Il est aussi probable que certains développent même une forme de crainte à l’idée de revenir dans l’entreprise. Il faut savoir les rassurer, leur montrer aussi à quel point il est important – et stimulant – de réintégrer l’entreprise, physiquement.
Dans tous les cas, toutes ces situations peuvent générer une forme de détachement du collaborateur, un amoindrissement du sentiment d’appartenance qui les lie à l’entreprise. Le challenge est donc d’entretenir ce lien, de le nourrir. Construire une nouvelle forme de relation, multiplier et diversifier les interactions : il me semble que le collectif doit être au cœur de nos priorités.

 

Selon vous, comment peut-on répondre à ces besoins que vous pointez ? Quels aménagements peut-on proposer ?

 

Tout d’abord, il faut réfléchir aux conditions de travail de chacun de ses collaborateurs. S’assurer que tous disposent d’un environnement de travail qualitatif : une chaise adaptée, une bonne luminosité, etc. C’est un investissement majeur pour l’entreprise que d’offrir un cadre de travail idéal à ses collaborateurs, un vrai home office. Ensuite, il est important d’être très réactif face aux besoins exprimés par les collaborateurs, pour ne pas les laisser seuls face à la complexité de la situation.

Au sein de l’agence Les Nouveaux Héritiers, nous avons tenté de mettre sur pied de nouveaux projets et de nouvelles méthodes pour fédérer les équipes. Très vite, nous nous sommes aperçus que cela n’était pas si évident. Pour pallier les difficultés rencontrées, trois formations ont été dispensées et se sont révélées extrêmement bénéfiques.
La première concernait l’utilisation de Teams, outil que nous utilisions déjà auparavant, mais pas de manière optimale. L’usage que nous en avons est désormais adapté au contexte du télétravail et répond aux problématiques de communication que nous avions constaté.
Nous avons également eu envie de travailler sur les process de communication, notamment pour répondre à certains besoins des managers : mieux connaître leurs équipes, leurs attentes. Et cela a également été un vrai coup de pouce pour l’ensemble des équipes dans leur manière de gérer tout l’aspect relationnel, que ce soit avec les clients, les Talents, mais aussi entre collaborateurs.
Enfin, une formation managériale a permis aux managers – tout comme à moi – d’appréhender le travail à distance différemment pour accompagner les collaborateurs dans la remise en question de l’ancien modèle. Cela a également été l’occasion de faire le point sur nos méthodes de travail pour en créer de nouvelles et remanier notre organisation, en distinguant ce qui pouvait être fait à distance de ce qui ne pouvait pas l’être. Ces réflexions ont pu être menées individuellement, pour être ensuite discutées collectivement.
En tant que dirigeant.e ou manager, nous former à cette nouvelle approche de nos postes est capital. Le télétravail fait d’ores et déjà partie intégrante des évolutions que connaît le monde du travail, même hors contexte de crise. Même si bien évidemment, le ratio idéal distanciel-présentiel diffère aujourd’hui… Enclencher ces démarches, c’est aussi regarder l’avenir, préparer la suite. Se former a été fondateur. Il me semble que c’était la réponse la plus adéquate face à la situation : partir du principe que l’on doit trouver des solutions plutôt que de rester figé dans un état de constat, passif face à l’adversité.

Et puis, il ne faut pas oublier que le télétravail comporte aussi des bénéfices ! Cela permet de poser les choses, de prendre du recul, de travailler des sujets de fond sur lesquels il est parfois difficile de se pencher lorsqu’on est au bureau. D’une certaine manière, notre cerveau s’adapte, on apprend à réfléchir différemment. Sans compter l’absence de transports, qui nous permet de gagner du temps, ce qui est plutôt reposant.

Pour la majorité des entreprises, la distanciation et le télétravail nécessitent de réinventer les méthodes de travail à l’œuvre. Plus que jamais, les managers jouent ici un rôle essentiel. Quel message souhaiteriez-vous leur adresser ?

 

Les managers jouent un rôle crucial dans l’accompagnement de cette transformation de l’organisation, dans la fidélisation et le bien-être des collaborateurs. À la fois leaders et experts, ils doivent également faire preuve de souplesse et d’agilité. Par conséquent, beaucoup de choses reposent sur leurs épaules, et ils ont besoin eux aussi qu’on les accompagne d’un point de vue technique, managérial, et psychologique. Et ce, afin de les aider à gérer la pression à laquelle ils font face au quotidien, pour la transformer en énergie positive et transmissible aux équipes. 
Cette idée est d’autant plus prégnante lorsque l’on travaille avec de jeunes managers. Chez Les Nouveaux Héritiers, l’équipe est composée en grande partie de collaborateurs ayant à peine 30 ans. Ils n’ont pour la plupart jamais vécu de période de crise au cours de leur vie professionnelle. Le risque pour eux est de se laisser dominer par le climat anxiogène qui est le nôtre aujourd’hui, d’éprouver des difficultés à positiver, à trouver la force d’avancer, d’expérimenter de nouvelles choses. 
Pour ma part, je n’en suis pas à ma première gestion de crise ! Certes, toutes ne se ressemblent pas, mais le fait d’en avoir traversé un certain nombre me permet d’être mieux armée face à celle que nous vivons actuellement. Il me semble que l’on est davantage en capacité de prendre du recul, de se projeter, et de trouver un moyen d’y puiser une certaine force, une nouvelle énergie.
Pour traverser une période de crise le plus sereinement possible, je crois qu’il faut être capable d’inverser la vapeur : saisir les opportunités qui se présentent, faire preuve de créativité, innover.

En tant que dirigeant.e, quel constat faites-vous aujourd’hui ? Quels sont selon vous les défis prioritaires à relever ?

La place de chef.fe d’entreprise est un savant jeu d’équilibre. Il faut tenir compte des mesures sanitaires prises par le gouvernement tout en prenant les décisions qui nous paraissent être les meilleures, pour les collaborateurs comme pour l’entreprise. Il faut trouver les bons arbitrages pour préserver la santé de l’entreprise, respecter les mesures sanitaires pour préserver celle des collaborateurs, tout en garantissant leur plein épanouissement au travail.
Le défi prioritaire est de ne pas tomber dans une organisation de travail totalement désincarnée, du fait du travail à distance. Pour autant, il est certain qu’à terme, les entreprises de services devraient chercher leur propre équilibre entre travail au bureau et travail à distance. Le 100% présentiel ou le 100% distanciel n’est pas une solution. Suivant son secteur d’activité, sa population, le challenge d’aujourd’hui est de trouver le juste équilibre entre les deux.

Se pose aussi la question de la digitalisation et de l’automatisation des tâches. Beaucoup d’entreprises ont vécu cette année 2020 comme une opportunité – certes particulière – de concrétiser leur passage au digital. Cela permet en effet de développer de nouveaux outils de travail, de gagner en efficacité. Pour autant, il me semble qu’il faut rester vigilant et se laisser la possibilité de s’affranchir du tout digital quand cela s’avère nécessaire.
La digitalisation massive des process et le recours systématique au télétravail reviendrait à se couper d’une grande partie de nos liens sociaux, et ce serait une erreur : il me semble que c’est avant tout le collectif et la solidarité qui constituent le point de départ de tout ce que nous entreprenons. Le lien humain est indispensable à l’équilibre de l’individu. Pour le préserver, il ne faut pas faire de l’écran une norme d’interaction. Il faut rester ancré dans ses convictions… tout en les questionnant régulièrement !

La question de l’arbitrage – quel qu’il soit- occupe une place essentielle du point de vue des dirigeant.e.s. Cela implique de grands remaniements, beaucoup de remise en question. Le contexte sanitaire nous pousse aussi à sortir de notre zone de confort, challenger notre capacité de résistance et d’adaptabilité. Je pense que le fait de traverser cette période avec nos équipes nous permet d’apprendre beaucoup. On prend conscience que l’on est capable de choses que l’on ne soupçonnait pas jusqu’alors. D’une certaine manière, on se redécouvre tous un peu !

 

Règles de distanciation, télétravail, reconfinement : la période que nous traversons est particulièrement complexe. Dans ce contexte, comment parvenir à conjuguer bien-être et performance des équipes ?

 

Si à première vue le challenge semble difficile à relever, il s’agit en effet d’une priorité absolue. C’est précisément le moment de puiser toute l’énergie nécessaire pour être efficace et performer. Pour sauver son entreprise d’une part, mais également pour offrir un certain bien-être à ses collaborateurs. Et cela passe notamment par le fait de conserver une attitude positive.
Traverser une crise, c’est aussi apprendre à l’accepter, à faire avec. Continuer à vivre en respectant les restrictions sanitaires tout en avançant. Cela passe donc entre autres par la recherche de l’efficacité et de la performance. Qui plus est, il ne faut pas oublier que cette crise n’est pas éternelle : elle finira, à l’instar des précédentes, par passer.
D’où l’importance de penser à demain… et de commencer à construire dès maintenant ! Pour puiser toute l’énergie positive nécessaire, je m’appuie sur ma conviction la plus forte, que je partage régulièrement avec mon équipe : que l’on vive ou non une période de crise, le collectif, la solidarité et la créativité sont au cœur de la réussite d’un projet, quel qu’il soit. Donner du sens à ce que l’on fait et agir doivent être nos priorités.

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