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Une millénial parmi les millenials : manager, un challenge ?
Des conseils et inspirations
pour trouver la formule idéale pour muscler les talents de vos managers.
Après une première interview dédiée au recrutement, Les Nouveaux Héritiers poursuit sa réflexion thématique autour des millenials, cette fameuse tranche générationnelle qui interroge les entreprises. De plus en plus nombreux sur le marché de l’emploi, nombre d’entre elles se posent la question du management de ces millenials. Leur présence croissante au sein des entreprises nécessite-t-elle une remise en question des pratiques managériales à l’œuvre ? Ont-ils des attentes distinctes ? Quel est le dénominateur commun de tous ces collaborateurs, excepté celui d’appartenir à une même génération ? Pour le savoir, nous avons choisi de donner la parole à Laurie Sariano. Depuis 2018, notre Directrice de pôle manage une équipe de huit Consultants Recrutement & Intérim, pour majorité millenials. Un challenge dont elle a su s’emparer à bras-le-corps et qui, peu à peu, a façonné sa vision du travail et du management.
Étant elle-même millenial, nous en avons profité pour faire coup double… Et l’interroger sur la manière dont elle appréhende ses fonctions en tant que millenial, manageant des millenials ! Approche managériale, process, échanges avec les collaborateur.rice.s : comment s’empare-t-elle de la mission qui lui a été confiée ? Quel est son quotidien, quelle vision du management défend-elle ?
Laurie Sariano nous livre son précieux témoignage.
Les millenials sont de plus en plus nombreux au sein des entreprises.
C’est visiblement une dynamique que vous observez au sein même de l’agence Les Nouveaux Héritiers.
Comment l’expliquez-vous ?
Cette dynamique est effectivement observable au sein de l’agence. Nous sommes une trentaine et la majorité des personnes qui composent l’équipe sont des millenials, issus de la génération Y – dont je fais partie -, et donc nés entre 1980 et 2000. Quant à la génération Z, elle arrive tout juste sur le marché du travail, et reste pour le moment absente de notre équipe.
Pour autant, on observe une diversité de profils assez flagrante : appartenir à une même génération n’implique pas nécessairement d’avoir les mêmes attentes, ni les mêmes objectifs. Alors que les plus âgés d’entre eux sont déjà parents de plusieurs enfants, les plus jeunes sortent d’études et sont au tout début de leur vie active. Il y a donc une réelle disparité d’expérience et de perception entre l’ensemble des collaborateur.rice.s millenials, qu’il est important de souligner. Nous ne traversons pas tous les mêmes moments de vie… Et n’avons, par conséquent, pas les mêmes attentes professionnelles.
Cela fait maintenant sept ans que j’ai rejoint Les Nouveaux Héritiers. Si les millenials y sont très présents, je crois que c’est en partie lié à la vision de l’entreprise que nous véhiculons : une agence agile qui cherche constamment à se réinventer, au fonctionnement semblable à celui d’une pépinière. Nous revendiquons notre politique d’alternance, qui constitue d’ailleurs l’un de nos atouts. Tout comme moi, nombreux sont ceux qui ont rejoint l’agence en tant qu’alternant pour ensuite décrocher un CDI.
Si cette direction prise par l’agence est aujourd’hui claire, je pense que ses contours se sont dessinés au fil des années et des belles rencontres qui ont eu lieu, qui ont conforté le parti pris initial de l’agence. Au fil du temps, il a également fallu ajuster nos méthodes de travail, abandonner certaines pratiques au profit de nouvelles, pour être au plus près de nos jeunes collaborateur.rice.s et être en capacité de répondre à leurs attentes. La mise en place du télétravail par exemple, a été actée à leur demande.
Pour autant, l’agence n’a pas pour vocation de privilégier les collaborateurs millenials ! À mon sens, les millenials sont peut-être plus sensibles que leurs aînés à la manière dont nous travaillons, aux valeurs et à l’état d’esprit que nous défendons, tout simplement.
En tant que Directrice du pôle Recrutement & Intérim et étant vous-même millenial, vous avez notamment pour mission de manager les consultants de l’agence.
Quelle est votre vision du management aujourd’hui et comment celle-ci s’est-elle construite ?
Ma vision du management s’est construite peu à peu, sur le tas si j’ose dire. J’occupe la fonction de manager depuis près de trois ans et je m’y suis littéralement heurtée. Auparavant, j’étais appréciée pour mon excellence opérationnelle. Autrement dit, et avec modestie, j’étais bonne élève : j’atteignais systématiquement les objectifs fixés, j’avais un grand sens du service client, j’étais très rigoureuse. C’est d’ailleurs ce qui m’a permis de décrocher un poste de manager. Rapidement, j’ai compris qu’être un bon opérationnel ne me donnait aucune garantie quant à mes compétences managériales !
J’ai commis une erreur, somme toute assez classique : j’ai voulu faire de mon expertise et de ce sentiment d’excellence une priorité pour mon équipe, notamment en les invitant à appliquer ma méthodologie de travail à la lettre… une approche cartésienne et pragmatique qui m’allait bien ! J’étais plus jeune, je manquais probablement d’un peu de recul. Je partais du principe que nous étions tous en début de carrière et avions tous la même ambition : celle de foncer tête baissée, travailler d’arrache-pied pour atteindre coûte que coûte la performance. Force a été de constater que mon approche ne portait pas ses fruits. Certes, mon équipe performait… mais elle était épuisée.
J’ai alors pris la mesure de ma mission : manager, c’était commencer par accepter que l’on soit tous différents, et sortir cette logique de « copié-collé » que j’avais voulu mettre en place. En donnant la parole aux collaborateur.rice.s, je me suis rendue compte qu’ils attendaient de moi une approche plus humaine et me souhaitaient plus présente à leurs côtés, tout en ayant davantage de marge de manœuvre sur leur manière de travailler. Le fait d’écouter mon équipe m’a permis d’ajuster mon management, d’imaginer de nouveaux process. En apprenant à déléguer, en accompagnant mes équipes dans leurs réussites comme dans leurs erreurs, en mettant en place de nouveaux process, j’ai pu finalement remplir ma mission et mesurer l’étendue de celle-ci !
Manager, c’est transmettre une vision et faire confiance à son équipe pour qu’elle la serve, tout en posant un cadre précis. C’est aussi faire preuve de transparence en pointant les réussites comme les échecs, en désamorçant des situations parfois complexes. C’est donner toutes les clés à ses collaborateur.rice.s, pour leur permettre de progresser et de performer, en maintenant un dialogue permanent et en misant sur le collectif ! C’est aussi prendre le temps de la rencontre avec chacun.e d’entre eux, prendre régulièrement de leurs nouvelles, veiller à ce qu’ils s’épanouissent, qu’ils se sentent bien.
J’en suis le témoin : être en capacité de manager une équipe est loin d’être inné et l’impact que l’on a sur le parcours professionnel des personnes que l’on manage est conséquent. Est-on en mesure d’accompagner son équipe et les collaborateurs qui la composent en visant l’excellence, tout en garantissant leur épanouissement ? Selon moi, manager nécessite de pouvoir répondre à cette question par l’affirmative. Et y parvenir nécessite tant d’être sûr de soi… Que d’être capable de se remettre en question.
Pour ma part, j’ai pu me challenger et ajuster mon approche managériale grâce à un parcours de formation dédié, que l’agence propose à tous ses nouveaux managers. J’ai ainsi pu me constituer un socle de bonnes pratiques qui s’est étoffé au fil de ma pratique de terrain… Et qui a pris tout son sens lorsque j’ai pu par la suite participer à une nouvelle formation consacrée aux process com.
À ce jour, l’équipe que vous managez est exclusivement composée de millenials. Observez-vous certaines attentes de leur part, qui se démarqueraient de celles de leurs aînés ?
De ce que j’observe au sein de mon équipe, ils ont effectivement des attentes. Pour autant, je pense que la plupart d’entre elles ne sont pas nécessairement conscientes ou ne s’expriment pas clairement dès l’embauche. Il me semble que celles-ci sont souvent contextuelles et résultent de ce que l’on construit collectivement avec eux une fois dans l’entreprise, de la relation qui se tisse avec l’équipe et le manager.
Dans le même temps, je note un certain nombre de traits communs – qui selon moi relève davantage d’un état d’esprit et d’une approche du travail – qui les distinguent de leurs aînés. Le rapport à la hiérarchie et la question du sens donné au travail fourni en font partie. Typiquement, il arrive régulièrement qu’un.e collaborateur.rice intervienne en réunion pour questionner l’approche de la fondatrice de l’agence vis-à-vis d’un projet, par exemple. Ce type de situation était probablement marginal par le passé dans la plupart des entreprises françaises.
Pour moi, c’est tant l’évolution de nos pratiques managériales que la quête permanente de sens qui anime les millenials qui ont rendu ce type d’échange possible, respectueux et constructif. Leur nécessité d’adhérer à un projet est très marquée, une forme de pré-requis à un engagement total de leur part. Gagner leur adhésion est essentiel et relève parfois du challenge : il arrive que certains projets mettent du temps à aboutir, qu’ils nécessitent des étapes de travail où la remise en question n’a pas sa place. Où il faut, d’une certaine manière, se contenter d’avancer. C’est alors au manager de canaliser ce besoin fort qui s’exprime, de temporiser et de tout faire pour transmettre une vision à plus long terme à ses collaborateur.rice.s, pour les booster et maintenir leur engagement.
D’un point de vue relationnel, il me semble que les codes sont également différents entre millenials. Le tutoiement est plus naturellement de mise, une certaine forme de proximité est entretenue dans les échanges. En tant que manager et millenial, j’observe cette tendance au quotidien. Une relation plus ténue s’instaure, avec laquelle il faut être à l’aise, et qu’il faut appréhender avec attention et professionnalisme. Pour autant, l’entretien de telles relations s’avère être un atout majeur pour dénouer un différend ou aborder d’éventuelles difficultés rencontrées lors de l’exécution d’un projet. Cela favorise une plus grande transparence.
L’idée selon laquelle les millenials seraient plus demandeurs que leurs aînés prévaut souvent. D’une certaine manière, on sous-entend fréquemment qu’ils sont plus exigeants. Est-ce un point de vue que vous partagez ?
En effet, on les décrit souvent comme étant constamment en demande. Je ne suis pas sûre que ce soit une caractéristique propre aux millenials, ou en tous cas inhérente à leur jeunesse. Je crois que cela relève davantage de l’évolution du monde du travail, de l’éducation.
Le contexte dans lequel les millenials ont grandi, se sont construits, ont décroché leur premier emploi : tout cela les a forgés. Et ce n’est que mon avis, mais il me semble que l’on a donné à cette génération une plus grande liberté de parole. Cela résulte tant de l’évolution de notre société que de l’évolution de notre approche du management. On tend de plus en plus à développer le travail collaboratif, à gommer la verticalité des rapports manager/managé qui autrefois était d’usage. On mise davantage sur la proactivité, sur la capacité des collaborateurs à être force de proposition. On est plus à l’écoute aussi, on porte les projets à plusieurs : chacun est responsabilisé, tout en jouissant d’une écoute et d’une marge de manœuvre plus grande au sein des projets.
Ainsi, je crois qu’un certain nombre d’exigences et d’attentes sont contextuelles plus que générationnelles. Certes, la génération Y a eu cette chance d’évoluer dans un contexte sociétal où la liberté de s’exprimer est plus grande : on leur a donc octroyé la possibilité d’exprimer leurs besoins et leurs attentes. Pour autant, ces attentes ne devraient pas être l’apanage des millenials, mais celui de tout.e collaborateur.rice. À tout âge, nous devrions nous sentir légitimes d’exprimer nos besoins et nos attentes dans le cadre de notre activité professionnelle !
Selon vous, pour garantir l’épanouissement des millenials, l’entreprise doit-elle ajuster ses process ?
L’épanouissement des millenials est d’une certaine manière soumis aux mêmes lois que celui des générations antérieures. À une distinction près peut-être : les millenials ont – il me semble – besoin d’avancer vite, en étant intimement convaincus que tout est possible. Peut-être est-ce là le seul véritable apanage de la jeunesse : ce besoin de nourrir l’ambition, de viser toujours plus haut, plus vite, et d’être capable de tout donner pour y parvenir. Ce que l’on pourrait qualifier de « fougue » relève d’une véritable ambition qui se construit, s’auto-alimente en permanence, qui doit pouvoir s’exprimer et être prise en compte.
Le monde dans lequel nous vivons contribue à renforcer cette dynamique : l’émergence et le développement des nouvelles technologies ont clairement impacté notre manière de travailler et de nous projeter. De fait, il y a un plus grand besoin d’immédiateté. Si l’on schématise, ce qui par le passé était perçu comme le challenge d’une vie est désormais appréhendé comme étant le challenge des cinq prochaines années. Face à cela, le manager doit être en mesure de formuler une réponse claire : construire avec eux un plan de carrière, leur donner de la visibilité sur les postes qu’ils pourraient convoiter à court terme, et leur donner toutes les clés nécessaires pour se réaliser, avec pragmatisme et bienveillance.
Cela nécessite également une certaine vigilance : s’il est primordial d’accompagner cette envie d’évoluer vite, il est pour autant crucial de les sensibiliser à l’importance de sécuriser leur avancée en consolidant leurs acquis, de prendre le temps lorsque cela s’avère nécessaire. À mon sens, les entreprises ont donc un véritable challenge managérial à relever pour fidéliser leur Talents.
A date, votre vision du management s’appuie sur votre expérience auprès d’une jeune équipe.
Si demain vous étiez amenée à manager des collaborateurs plus expérimentés, procèderiez-vous de la même manière ?
Pour moi, la mission reste la même : être manager, c’est donner tous les outils à ses collaborateurs.rices pour qu’ils.elles puissent performer, tout en leur offrant la possibilité de s’épanouir au quotidien. Les constantes sont pour moi les mêmes quels que soient l’âge et le niveau d’expérience des personnes que l’on manage, moyennant quelques ajustements minimes.
Aussi, je m’attacherais en premier lieu à instaurer un cadre précis, un certain nombre de règles et de process. Cela me paraît essentiel, quel que soit l’âge des collaborateurs que l’on manage. C’est d’ailleurs une démarche qui est probablement mieux perçue et mieux comprise par les profils plus expérimentés. Évoluer au sein d’un cadre, prendre en compte les feedbacks de leur manager : tout cela leur est familier. Lorsque l’on entre tout juste dans la vie active, tout est neuf : tant les missions qui nous sont confiées que le simple fait d’appartenir à une équipe et d’être managé. Je conserverai également mon approche humaniste : prendre le temps de m’intéresser aux collaborateur.rice.s, leur demander comment ils vont. Prendre en considération la personne que l’on a en face de soi, c’est la base de tout échange, quel qu’il soit.
En revanche, je pense que j’aborderais la question de la communication différemment. J’ai le sentiment qu’un profil expérimenté sera plus prompt à remonter les difficultés qu’il rencontre, par exemple. Dans l’échange, cela va nous permettre d’aller plus rapidement droit au but pour trouver des solutions concrètes. A contrario, par manque d’expérience, un millenial aura souvent tendance à transmettre davantage d’informations : il aura moins de recul, son sens de l’analyse sera peut-être moins développé lorsqu’il s’agira de remonter une difficulté. Tout l’enjeu pour le manager est donc de faire le tri des informations qui lui sont transmises. Cela nécessite alors un travail d’investigation plus poussé pour identifier une éventuelle difficulté.
J’y accorde d’ailleurs une attention toute particulière, afin que mes collaborateur.rice.s millenials puissent rapidement gagner en autonomie et identifier peu à peu ce qui les freine ou leur pose problème. Je crois que ce point de vigilance serait probablement moins marqué si j’avais à faire à des personnes plus expérimentées.
Vous êtes vous-même issue de la génération Y : qu’est-ce qui vous distingue d’un manager qui aurait davantage d’expérience ?
Quels sont les challenges à relever et quel conseil donneriez-vous à un manager au profil similaire au vôtre ?
Pour ma part, avoir le même âge que les collaborateur.rice.s que je manage n’est pas nécessairement significatif, même si cela peut s’avérer être un atout dans certains cas de figure. J’ai pu en faire le constat : lorsque l’un.e d’entre eux rencontre un coup dur, qu’il soit d’ordre professionnel ou personnel, il me semble que notre proximité en âge facilite l’échange, favorise la liberté de parole. Dans le même temps, je m’aperçois également que la relation que je tisse avec mon équipe est en partie conditionnée par mon âge. S’ils me sollicitent régulièrement lorsqu’ils ont besoin d’une oreille attentive, d’un coup de boost, de solutions concrètes, ils s’adresseront volontiers à des collaborateur.rice.s plus expérimenté.e.s lorsqu’ils auront besoin d’un conseil, d’une certaine forme de sagesse. Même si je suis consciente qu’en employant ce terme je contribue à véhiculer un cliché, je le trouve assez juste finalement…
C’est cette pluralité d’échanges qui est intéressante au sein d’une entreprise, qui contribue à l’épanouissement de chacun et constitue une vraie richesse. J’en suis convaincue : privilégier la diversité de profils et de générations à l’embauche de nouveaux Talents est capital pour l’équilibre d’une entreprise et de ses équipes. Mais au-delà de la question générationnelle, je crois que l’empreinte que l’on laisse en tant que manager est davantage liée à notre état d’esprit et aux valeurs que l’on défend. C’est avant tout notre approche managériale qui importe.
Lorsque l’on est amené à devenir manager, il faut toujours garder à l’esprit que la relation manager/managé se construit véritablement à deux. Dès qu’un déséquilibre est perçu dans la relation, la capacité réciproque à communiquer doit être mobilisée si l’on souhaite pointer ce qui pose problème et trouver ensemble des solutions.
Lorsque la performance n’est pas au rendez-vous, il faut en premier lieu venir questionner cette relation. En tant que manager, impulse-t-on une dynamique dans la relation, est-on suffisamment à l’écoute ? En tant que managé, les questionnements sont les mêmes. L’équilibre de cette relation est fragile, et nécessite une attention de chaque instant, de toutes ses parties prenantes. C’est cette écoute mutuelle, cette fluidité dans la façon de communiquer, cette ouverture à l’autre qui permet de créer un climat de confiance. Et pour moi, instaurer cette confiance, c’est atteindre d’emblée 70% de sa mission en tant que manager. Que l’on manage des millenials… ou non !