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Edgar Grospiron : “Manager, c’est la même chose qu’être un athlète”
No coaching, no gain ? Athlètes et coachs de la performance, nos managers sont en première ligne pour piloter les exploits collectifs, dans des environnements mouvants. Et si coacher un sportif de haut niveau et manager sa team, c’était pareil ? C’est en tout cas le point de vue d’Edgar Grospiron, champion du monde de ski, entrepreneur et coach.
Il a été le boss des boss. Celui dont on se souvient pour son titre de champion du monde de ski acrobatique français (et pour son pull non moins inoubliable le jour de sa victoire). Il a renouvelé le coup trois fois d’affilée. Et il aurait pu s’arrêter là. Mais Edgar Grospiron a réussi le pari de transposer sa recette de winner à l’entrepreneuriat. Mieux, il en fait profiter les entreprises et les managers qu’il accompagne. Selon lui, il existe une recette universelle de la réussite. Bonne nouvelle, il nous a livré le secret.
Vous avez fait vos premiers pas dans le ski à 18 mois seulement et vous ambitionniez déjà de devenir le meilleur skieur du monde. Est-ce que vous conseillez à vos clients de se motiver dès la maternelle ?
(rires) Non, je n’irais pas jusque-là.
Toujours est-il que ça vous a réussi. Après avoir accompli votre objectif d’enfant, vous avez entamé une deuxième vie : celle de consultant en management. Quels sont, selon vous, les liens entre carrière en entreprise et carrière sportive ?
L’essentiel de ma carrière sportive s’est joué au niveau du mental et de la motivation. C’est cette partie qui se transpose. L’aspect technique, physique, est secondaire. Gérer un projet, manager, c’est la même chose qu’être un athlète. Il faut définir un objectif, une vision, une stratégie, emmener les gens autour de soi et manager une équipe. Dans les deux cas, c’est une aventure humaine, personnelle et collective, qui doit tendre vers la performance. Si l’on n’est pas performant, on n’est plus légitime, on est éjecté. D’ailleurs, dans le sport, la sentence est immédiate.
Est-ce que les ingrédients de la réussite sont universels ?
Oui ! Les gens travaillent pour une forme d’équilibre entre ce qu’ils donnent et ce qu’ils reçoivent. En tant que manager, la question à se poser est : “Est-ce j’exige avant de donner, ou est-ce que je donne avant d’exiger ?”. J’aurais tendance à dire “j’apporte d’abord” et je crée les conditions pour que les gens délivrent.
Quelles sont les conditions de la réussite ?
Il faut créer un espace d’aventure, de conquête. C’est ce qui s’appelle une vision, un projet, une ambition ou des objectifs. C’est un peu l’étoile polaire, le point lointain à atteindre. Bien sûr, il y a aussi le chemin à emprunter. C’est là où l’on prend du plaisir. Manager ou coacher, c’est concilier plaisir et exigence. Il faut être exigeant vis-à-vis des forces des collaborateurs, et les accompagner sur leurs faiblesses. Ensuite, il s’agit de piloter. Atteindre un objectif, c’est faire progresser les gens. Ça passe par des sessions de briefing, de débriefing et de capitalisation du savoir. Le management se fait donc en deux étapes : selon la stratégie ou la vision de départ, puis au fur et à mesure du processus pour la concrétiser.
Est-ce nécessaire de détailler les étapes à son équipe, ou à son sportif ?
Prenez un coureur du Tour de France. Vous lui dites : “Départ tel jour de Bretagne, arrivée 23 jours plus tard sur les Champs-Élysées”. Il y a de forts risques qu’il implose avant l’arrivée ! Dans le management, c’est pareil. Il faut un temps faible de préparation avant un temps fort d’action, et un temps de célébration. Un séminaire, un repas, un verre, ou simplement un encouragement, des félicitations. C’est un moment où l’on va prendre du recul, tirer les enseignements et capitaliser dessus. C’est de cette manière que les gens vont doser leurs efforts, être solides dans les temps forts et agiles dans les temps faibles.
Quelle est l’erreur la plus commune que vous retrouvez dans le management aujourd’hui ?
J’entends souvent : “Je ne me prépare pas, je suis dans l’action”. Pourtant, le manager se doit de structurer le chemin et d’équilibrer les temps forts et les temps faibles. Pour que les gens aient envie de s’investir dans leur travail, il faut qu’il y ait un univers cohérent et juste, qu’ils sachent à quelles règles se vouer. Si vous faites une partie de foot, sans arbitre et sans banc de touche, ça risque de partir dans tous les sens. L’étoffe d’un bon coach ou manager réside dans la cohérence et l’exigence. On fait ce qu’on dit et on dit ce qu’on fait. On est tous logés à la même enseigne. Si certains trichent, ça génère des conflits plutôt que de la performance.
Comment s’adapter en temps de crise aux particularités de chacun ?
Contrairement au “Je donne d’abord, je récolte ensuite”, le phénomène s’inverse : les employés donnent plus qu’ils ne reçoivent. C’est ce qui les épuise. On exige beaucoup en termes d’énergie et de temps sans pouvoir leur rendre la pareille. La pandémie de Covid-19 a tellement bousculé le quotidien des salariés que, et je l’ai vu chez mes clients, les entreprises se sont d’abord adaptées, puis elles ont redéfini les règles. Les contrats de télétravail sont à peine en train d’être renégociés. Après coup donc, le manager va déterminer de manière individualisée comment chacun est impacté par la situation et comment il ou elle peut faire en sorte, malgré tout, d’être au rendez-vous sur les objectifs fixés.
Vous avez l’habitude de slalomer entre les bosses : quels conseils donnez-vous à ceux qui, en entreprise, doivent s’adapter à un environnement challengeant ?
C’est souvent le cas des middle managers. Leur rôle est de filtrer la pression et de donner confiance à son équipe. Ils récoltent les exigences des collaborateurs et répondent au désir de reporting du top management. La situation peut être inconfortable parce qu’ils ont l’impression d’être pris entre le marteau et l’enclume. Le problème du middle manager est que, la plupart du temps, c’est une personne qui était sur le terrain et qui donnait de bons résultats. On va la promouvoir d’un coup et lui faire prendre des responsabilités supplémentaires, au motif qu’elle est douée. Sauf que ce n’est plus le même métier, et c’est une double perte : on perd un bon commercial, mais on ne gagne pas forcément un bon manager.
Dans une interview pour l’Express publiée en 2014 – le temps passe, les conseils restent –, vous faites l’éloge de la prise de risque. Vous expliquez que plutôt que de “rester bloqué à se lamenter”, il faut “se questionner sur ses freins pour aller plus loin”…
Il faut parfois se mettre dans l’inconfort à court terme pour apprendre et avancer. Ça passe notamment par prendre conscience de sa responsabilité dans un problème et réagir, donc de se dire : “Dans cette situation, quelle est ma réponse ?” et non pas : “Je suis coupable de la situation”. Par exemple, dans une compétition, je n’ai pas eu les résultats escomptés : je rejette la faute sur les autres ou j’assume les responsabilités ? La réponse dépend souvent de l’énergie que j’ai. Si j’ai une énergie basse, je souffre un peu, et c’est une affaire de survie de rejeter la faute sur les autres ou l’environnement. À l’inverse, si je peux me remettre en question, identifier mes freins, je reviendrai plus fort et j’irai plus loin.